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ÉCONOMIE. Dans les Pyrénées, des éleveurs se retrouvent dans une situation économique fragile depuis que la fièvre catarrhale ovine sérotype 8 (FCO 8) est venue s’ajouter à d’autres crises, comme la Maladie Hémorragique Épizootique (MHE) ou l’assèchement des terres. Les exploitations, particulièrement les nouvelles installations, sont en danger. Ce contexte alarmant pousse la filière à réclamer des mesures urgentes pour sauver l’élevage pyrénéen et éviter des disparitions d’exploitations.
Dans les Pyrénées, la sécheresse et des épidémies comme la Maladie Hémorragique Épizootique (MHE) fragilisent la situation économique des éleveurs depuis déjà quelques années, en particulier celle des éleveurs bovins. L’épizootie du sérotype 8 de la fièvre catarrhale ovine a donc eu l’effet d’un coup de massue sur un secteur déjà inquiet quant à l’avenir de ses exploitations. Dans le Haut-Vallespir (Pyrénées-Orientales), comme dans l’Aude, l’Ariège, les Hautes-Pyrénées et la Haute-Garonne, les agriculteurs doivent à nouveau faire face à une aggravation de leur situation économique avec cette nouvelle crise sanitaire.
La filière porte ses plus grosses inquiétudes sur les jeunes exploitations, comme celle de Jérôme Vergès, installé à Saint-Laurent-de-Cerdans depuis trois ans. Cet ancien maçon dit avoir réinvesti toutes ses économies dans ses animaux (achat des bêtes et coûts associés). C’est un pari qu’il a pris, considérant qu’une bête qui se porte bien est une bête qui produit :
“Mon objectif était d'atteindre au moins 200 brebis pour pouvoir m'en sortir. Nous étions à 160 cette année. En trois semaines, nous avons perdu près de 25.000 €, avec 56 brebis décédées”, explique cet ancien maçon, qui vient d’être papa.
La Politique Agricole Commune, cette aide européenne dont dépendent une partie des exploitations agricoles pour vivre, incite effectivement les éleveurs à faire grossir leurs cheptels pour bénéficier d’un meilleur soutien financier (des primes sont indexées sur la taille des troupeaux).
À une bonne demi-heure de route de là, à Corsavy (66), Orphée Chrysostome, éleveuse de brebis laitières et viandes, se dit inquiète pour l’avenir des jeunes agriculteurs comme Jérôme. Bien que son exploitation familiale de 1988 dispose d’un capital financier et matériel plus solide que ce dernier, elle ne cache pas pour autant son désarroi lorsque nous l’interrogeons sur les conséquences économiques de cette crise sur son exploitation.
“Toutes les pertes que nous avons subies, que ce soit en bétail ou en production laitière, on les assume. Il y a un mois et demi, on trayait encore 118 brebis laitières. Aujourd'hui, on en trait à peine 45. C'est vrai qu'on est en fin de saison, donc les brebis se tarissent naturellement, mais on devrait quand même avoir au moins 70 brebis en production à ce moment-là de l'année. En tout, on a perdu 5 000 litres de lait depuis juin, c'est une perte totale. Donc 5000 litres de lait à 4,50 € le litre… Il faut chiffrer. Là, je n’ai pas envie de compter parce que ça me démoralise”, indique-t-elle.
Le calcul, nous l’avons fait.
En ne tenant compte que de la production de lait perdue, son exploitation a perdu 22.500 euros en un mois. Pour avoir une idée plus précise du coût total de cette crise sur sa bergerie, il faut ajouter à cela le rachat de brebis pour démarrer la saison prochaine. A 180 euros HT l’individu, multiplié par les 50 qu’elle compte acheter d’ici au mois d’avril, cela fait 9.000 euros HT supplémentaires à dépenser pour relancer l’activité… Et le calcul ne s’arrête pas là.
“Un bélier qui a attrapé la fièvre peut être stérile à vie, donc on ne peut pas se permettre de le garder parce qu'il va me coûter de l'argent. Un bélier qui n'a pas de spermatozoïdes ne sert à rien, en fait. On pourrait le manger, voilà, malheureusement. C'est comme ça. [...] Selon leur âge, ils coûtent entre 450 € et 650 € pièce. (Stériles ou pas, ndlr.) on va devoir en racheter, vu qu'on en a perdu huit. Financièrement, c'est lourd, l'achat de mâles reproducteurs”, précise Orphée Chrysostome.
C’est même très lourd : au moins 3.600 euros supplémentaires à assumer. Sans compter les brebis viandes qu’elle a perdues, Orphée Chrysostome et sa famille vont donc assumer 35.600 euros de pertes avant la saison prochaine. Pour une partie d’entre elles, il s’agira de reconstituer une partie de leur troupeau.
Le 19 septembre 2024, le Fonds national agricole de Mutualisation du risque Sanitaire et Environnemental (FMSE), a confirmé l’ouverture d’un programme d’indemnisation à 100% des pertes d’animaux de plus de douze mois provoquées par la FCO 8. Ce fonds est financé à 65% par l’Etat et à 35% par la profession (sous la forme d’une cotisation annuelle).
Une annonce forcément bien reçue par les éleveurs. Néanmoins, ce coup de pouce du Ministère de l’Agriculture (qui doit donner son accord pour la mise en place d’un tel programme) reste insuffisant au yeux de la Confédération Paysanne au vu de la situation économique dans laquelle se trouvent certains éleveurs pyrénéens.
Près de quatre mois après la détection des premiers cas du sérotype 8 de la fièvre catarrhale ovine dans les Pyrénées-Orientales, aucune mesure d’accompagnement spécifique à la succession des crises vécues par les éleveurs des Pyrénées n’a encore été annoncée. Pourtant, les appels aux dons se sont multipliés sur les marchés catalans cet été, tandis qu’en Ariège une soirée de soutien à été organisée pour sauver une exploitation en péril… Alors forcément, le sentiment d’être transparent n’en est que renforcé.
“C'est comme si le sérotype 8 n'existait pas. En 2008, dans les Pyrénées-Orientales, il y avait eu peu de mortalité. Mais là, la mortalité est énorme, dans presque toute la France. Il faut prendre des mesures, car il n'y a pas que le sérotype 3, il y a aussi le 8, et c'est dramatique pour l'élevage en France. On est de moins en moins d'éleveurs, et avec cette crise, on va en perdre encore plus. Il va falloir soutenir les jeunes installés et ceux qui ont des difficultés financières. C'est important que l'État soit à nos côtés”, s’agace Orphée Chrysostome.
Elle plaide aussi pour que les vaccins consacrés à la FCO 8 soient pris en charge par l’Etat, au même titre que la vaccination pour la FCO 3 qui impacte les élevages du nord-est de l’Hexagone. Car si la fièvre catarrhale ovine fait des ravages similaires aux quatre coins du pays, sa prise en charge dépend en revanche du sérotype (3, 4, 8…). Une réglementation sanitaire complexe qui ne fait que renforcer ce sentiment de distance entre Paris et les sommets pyrénéens.
“Ils n'ont pas pris conscience que, dans le sud, nous vivons une véritable crise. C'est une crise grave pour les élevages comme le nôtre, où nous sommes réellement touchés. Même le financement du vaccin ne sera pas suffisant pour nous sauver. [...] Le Ministère de l'Agriculture doit croire que nous sommes une minorité”, indique Jérôme Vergès, amer, à Pyrénées FM.
Pourtant, tous les éleveurs que nous avons rencontrés disent se sentir soutenus. Une ambivalence qui s’explique par les visites effectuées par des représentants des Préfectures, des GDS ou des Chambres d’Agricultures sur leurs exploitations, et cela dès le début de la crise, mais qui depuis sont restées sans conséquence visible.
“À quoi a servi la visite du préfet (des Pyrénées-Orientales, ndlr.) ? Je ne sais pas. Pour nous, ça n'a pas eu beaucoup d'impact jusqu'à présent. En France, pendant les vacances de juillet et août, tout s'arrête ; il ne se passe rien”, pointe avec justesse l’éleveur de Saint-Laurent-de-Cerdans.
À cette réalité coutumière, s’en est ajoutée une autre, bien moins traditionnelle : le ministère de l’Agriculture était dirigé durant toute la période estivale par Marc Fesneau.
À cette période, l’homme politique est ministre dans un gouvernement démissionnaire chargé de gérer les affaires courantes. Une situation rare qui empêche toute réforme ou tout engagement important de la part de l’Etat, y compris face à l’une des plus grandes crises de l’élevage pyrénéen de ces vingt dernières années. C’est en tout cas ce que laisse suggérer le silence de l’Etat sur cette crise. C’est bien simple, sur le site du gouvernement, au 01/10/24, la page dédiée aux épizooties de fièvre catarrhale ovine actuellement en cours en France se contente simplement de mentionner la FCO 8, sans y apporter le moindre détail sur la situation en cours. Incontestablement, cela a alimenté un sentiment d’abandon. Cet été, ce sentiment ne s’est pourtant pas beaucoup exprimé à l’occasion de manifestations.
“Que voulez-vous faire ? Nous sommes avec les animaux tous les jours, participer à des manifestations, c’est compliqué avec les bêtes. Nous avons tellement de problèmes que cela n'en est qu'un de plus. Ce n'est pas le plus grave que personne ne nous entende. Nous arrivons au bout de cette phase compliquée, mais il y a d'autres complications tout aussi difficiles à gérer”, explique l’éleveur.
Il poursuit : “Avec la sécheresse, les animaux n’ont rien à manger. Il faut courir toute la journée pour leur trouver de quoi se nourrir. C’est un travail décuplé. Depuis deux ans, nos journées sont rallongées ; nous travaillons de 6 heures du matin à 23 heures”, détaille l’éleveur tout en profitant de cette occasion pour nous rappeler qu’il devrait être en train de faire autre chose plutôt que de répondre aux questions d’un journaliste.
Les revendications émanant du terrain ont tout de même été portées au Ministère par les syndicats agricoles les plus influents : FNSEA, Jeunes Agriculteurs. “Il y a des choses qui sont en train de bouger… Le prochain ministre n’aura plus qu’à faire les annonces”, nous glissait une source syndicale régionale bien placée à la mi-septembre. D’autres organisations syndicales se sont plaintes d’être écartées des tables de discussion, comme la Confédération Paysanne. Rarement unanimes, toutes sont pourtant d’accord pour dire que l’avenir de certaines exploitations est en jeu. Dans le Haut-Vallespir, c’est aussi ce qui est exprimé par Thomas Ribes, le Président du Syndicat Agricole du Vallespir.
“Nous sommes maintenant à un stade où il est crucial de trouver des solutions rapidement. [...] Il est essentiel que tout le monde participe à ces efforts pour surmonter cette crise. La survie des exploitations est en jeu, et il est crucial de préparer l’avenir, notamment pour l’année prochaine et les mises bas hivernales, afin d’éviter d’éventuels problèmes avec les animaux. Sans une aide adéquate, beaucoup d'exploitations pourraient disparaître, ce qui aurait un impact majeur sur le territoire, notamment en montagne, où les agriculteurs jouent un rôle essentiel dans la prévention des incendies et le maintien de la vie locale. Il faut que tout le monde se bouge, sinon, on va crever la bouche ouverte."
Ce coup de gueule, ou cet appel à l’aide, est en partie nourri par la peur que de nouveaux pics de FCO 8 se présentent d’ici à la fin de l’automne. Surtout, c’est le marqueur de craintes encore plus profondes.
Car dans les Pyrénées, l’ensemble de la profession fait face à un enchaînement des crises (sanitaires, climatiques, économiques) depuis une dizaine d’années. Une accumulation qui n’a épargné aucun type d’élevage, mais qui pourrait d’abord causer la perte d’exploitations ovines dans les prochains mois. C’est en tout cas la crainte et le constat que tire Yoann Mathevon, directeur du GDS 11, qui a suivi l’épidémie de près dans son département.
“Je suis évidemment inquiet pour l’avenir de l’élevage dans les départements pyrénéens. Pour moi, s'il n'y a pas une aide importante, certains éleveurs ne vont pas s'en relever, tout simplement parce que, là, il y a une forte mortalité. Ce qui veut dire moins d’ovins, ce qui signifie des éleveurs en défaut de chargement par rapport aux aides PAC. Je ne vous apprends rien en vous disant que les aides PAC représentent une grosse partie de la trésorerie des élevages. Donc, rien que ça, ça risque de poser problème”, explique le numéro 1 du Groupement de Défense Sanitaire de l’Aude.
D’après lui, il ne fait aucun doute que cette crise sera celle de trop pour certains agriculteurs.
“La disponibilité des animaux de renouvellement sera réduite à zéro, car vu les mortalités, il sera difficile de racheter des animaux pour refaire un chargement. Nous sommes confrontés à des problèmes de masse critique, où si les éleveurs passent en dessous d'un certain nombre d'animaux, il est très difficile pour eux de remonter la pente économiquement parlant. Ce qui est sûr, c'est qu'il y a des éleveurs qui vont s'arrêter à cause de cette épidémie ; j'en suis sûr et certain”, indique Yoann Mathevon à Pyrénées FM.
Cette conclusion est partagée par d’autres acteurs importants de la filière que nous avons joint. Contacté, le Ministère de l’Agriculture, de la Souveraineté Alimentaire et de la Forêt n’a pas répondu à nos sollicitations.
Written by: Melvin Gardet
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