Pyrénées FM La radio des vallées
ENQUÊTE. Le sérotype 8 de la fièvre catarrhale ovine (FCO) a refait surface dans les élevages ovins, bovins et caprins des Pyrénées cet été, causant des pertes massives chez les ovins. Selon les données officielles, cette épizootie touche désormais près de 1.500 élevages dans cinq départements de la chaîne pyrénéenne. En réalité, de nombreux foyers n’ont pas été recensés. Entre suivi épidémiologique défaillant et manque de moyens, les autorités ont peiné à contenir cette crise sanitaire inédite, qui pourrait avoir des répercussions socio-économiques majeures pour les éleveurs de la région.
Elle a fait un retour remarqué en Aveyron, dans le Tarn ou encore en Lozère l’an dernier, puis elle s’est faite oublier avec le retour des températures hivernales. La fièvre catarrhale ovine (FCO), aussi surnommée maladie de la langue bleue (de l’anglais ‘BlueTongue Virus’) fait des ravages dans les élevages ovins, bovins et caprins des Pyrénées depuis le début de l’été 2024.
Transmise par des moucherons piqueurs qui transmettent la maladie de bête en bête (à l’instar du moustique tigre pour nous autres humains), elle s’est rapidement répandue dans les Pyrénées-Orientales, dans l’Aude, en Ariège, en Haute-Garonne et dans les Hautes-Pyrénées. Dans ces départements, début août, les syndicats estimaient à au moins 6.000 le nombre d’animaux – majoritairement des ovins – qui en seraient morts depuis le mois de juin 2024, mois où la maladie de la langue bleue a été détectée pour la première fois dans le Haut-Vallespir (66).
Une arrivée surprise par le sud de la Catalogne, que ni les éleveurs, ni les autorités sanitaires n’avaient anticipé. Tous s’attendaient à pouvoir suivre l’arrivée de la maladie dans les Pyrénées en observant prudemment sa progression vers le sud depuis les départements qui ont été frappés à l’automne 2023. D’autant que sur les 36 sérotypes que compte la FCO, le sérotype 8 ne faisait plus peur à grand monde.
Introduit à la fin de l’année 2006 en France métropolitaine, cette ‘version’ 8 de la fièvre catarrhale est bien connue du secteur, qui pensait avoir traversé le pire avec les 42.000 élevages infectés entre 2007 et 2009. Si les signes cliniques se faisaient plus rares, l’épizootie avait tout de même eu des conséquences socio-économiques sur les exploitations. Depuis, malgré quelques ré-émergences de la maladie, la situation était sous contrôle grâce à plusieurs campagnes de vaccination (obligatoires et volontaires) qui se sont avérées concluantes. Au point que la maladie a été classée endémique en 2015, c’est-à-dire qu’elle ne fait plus l’objet d’un programme de lutte sanitaire piloté par la l’Etat car elle est considérée habituelle dans une zone définie. L’émergence du sérotype 4 en 2017 et l’arrivée en Europe du sérotype 3 en 2023 n’ont fait que renforcer la banalisation du sérotype 8 auprès des éleveurs, qui l’ont moins craint.
Les appels à la vigilance formulés à l’automne 2023 par les éleveurs et les acteurs agricoles (syndicats, GDS, chambres d’agricultures…) en Aveyron ou même en Mayenne à propos de signes cliniques plus fréquents et plus intenses qu’à l’accoutumée ont certes interpellé, mais n’ont pas vraiment incité à l’achat de vaccins sur les territoires où la maladie n’était pas en circulation.
Un an après, il semble donc que tous les signes avant coureurs de l’hécatombe actuelle étaient là, avec une nouvelle souche du sérotype 8 confirmée dès l’automne 2023 (BTV-8 France 2023) qui a appuyé la thèse d’une maladie plus virulente que celle qui était jusqu’alors connue (BTV-8 France 2007).
Des signes de la maladie similaires
Ce nouveau variant, désormais majoritaire dans le sud de la France — et que nous nous contenterons donc de nommer FCO 8 à compter de cet instant — n’en reste pas moins semblable à sa précédente version. En clair, les signes qu’une bête est porteuse de la fièvre catarrhale ovine 8 sont exactement les mêmes qu’avant. Seule l’issue a changé.
« Chez les ovins, la maladie se manifeste principalement par une forte fièvre, comme le nom l'indique. Les premiers symptômes observés sont un œdème facial et une langue qui, en phase terminale, devient très décolorée, avec une teinte bleutée, d'où le nom de ‘langue bleue.’ On observe également des boiteries, avec un bourrelet coronaire qui se dégrade et des difficultés de déplacement. En conséquence, les animaux finissent par ne plus se mouvoir, ne plus manger ni boire, et meurent », présente Odile Arnaudies, vétérinaire mixte au Boulou (66).
La vétérinaire catalane, qui estime que 20 % de sa patientèle est composée de ruminants (ovins, bovins, caprins), fait état d’une mortalité variable. Certains ruminants meurent rapidement, d’autres en quelques jours, et d’autres encore présentent des formes chroniques de la maladie qui nécessitent donc des soins réguliers. De tête, elle estime le taux de bêtes infectées dans les élevages ovins qu’elle a suivi entre 30 et 75 %.
Le syndicat agricole du Haut-Vallespir considère d’ailleurs que 1.500 brebis sont mortes de la FCO 8 dans les Pyrénées-Orientales depuis le début de l’été sur les 15.000 que compte le département. Une estimation dont le calcul reste flou, tant le suivi de l’épidémie est complexe. Y compris pour les organismes les plus compétents en la matière.
Un suivi statistique de l’épidémie difficile
Pour preuve, depuis le début de notre enquête, aucun bulletin hebdomadaire de veille sanitaire internationale en santé animale de la plateforme ESA (pourtant spécialisée dans la collecte, la compilation et l’analyse de données sanitaires en santé animale) ne fait mention de chiffres et autres statistiques sur les conséquences de l’épidémie dans le sud de la France.
« La nouvelle souche, qui a émergé en août 2023, s’est depuis propagée et a été la cause de cas cliniques observés en métropole. En l’absence de données consolidées, nous sommes dans l’impossibilité de fournir une actualisation hebdomadaire pour le BTV8 en France », lit-on dans chacun des bulletins publiés depuis juin 2024 par la plateforme qui fait pourtant office de référence dans son domaine. Il faut dire que son comité de pilotage comprend de grands noms tels que l’ANSES, Santé Publique France ou encore le Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire.
Alors, après de nombreux échanges avec l’ensemble des instances chargées de suivre directement ou indirectement cette épizootie, Pyrénées FM a fini par obtenir des chiffres qui permettent d’avoir une vue globale de la situation, grâce au concours des Préfectures, au syndicat Confédération Paysanne et à Atemax, le service d’équarrissage (collecte de cadavres) des départements. Ces chiffres, ce sont ceux d’une crise sanitaire animale d’une ampleur totalement inédite dans les départements situés à l’est des Pyrénées.
« Une crise sans précédent »
D’après les données communiquées par la Direction départementale de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations de l’Ariège, au 18 septembre 2024, 1.498 foyers étaient recensés dans les cinq départements des Pyrénées allants des Hautes-Pyrénées aux Pyrénées-Orientales sur les 2.095 foyers identifiés au total dans les 13 départements de la région Occitanie.
Selon le Groupement de Défense Sanitaire (GDS) de l’Ariège (une association ayant pour missions la surveillance, la prévention et la lutte contre les maladies animales dans les élevages, le tout sous la supervision des Directions Départementales de la Protection des Populations), quelques cas en caprins et en lamas ont été observés, mais les espèces les plus touchées sont les bovins (pour un tiers) et les ovins (pour deux tiers). Ces derniers présentent aussi les signes cliniques les plus inquiétants, à court et à long terme. Yoann Mathevon, directeur du GDS de l’Aude, en tire un constat alarmant.
Il indique que dans l’Aude, le taux de mortalité dans les élevages ovins est de 17 %, le taux de morbidité (nombre de bêtes malades dans chaque élevage) de 30 %. Dans d’autres départements, ces nombres sont parfois plus élevés.
Le suivi de l’épidémie est défaillant
Reste que toutes ces données, aussi parlantes soient-elles, sont en-deçà de la réalité. Car pour qu’un élevage soit considéré comme foyer, il faut suivre une procédure bien définie, explique-t-il.
« L’éleveur c’est le premier à savoir qu’il y a un problème sur son troupeau : il appelle son vétérinaire sanitaire pour lui mentionner qu’il y a des symptômes évocateurs de FCO ou de MHE. Ensuite, il y a une visite du vétérinaire qui va remplir cette fiche de déclaration. Le vétérinaire réalise des prélèvements sanguins et les envoie au laboratoire. Si le résultat d’analyse est positif, le cheptel est considéré comme foyer. »
Problème, cette seule source de données, aussi fiable soit-elle, ne peut pas se suffire à elle-même pour le suivi de l’épidémie. Les bêtes mortes en estive — une tradition agricole très répandue qui consiste à envoyer les troupeaux en montagne pour qu’ils broutent une herbe plus fraîche qu’en plaine — ne sont pas comptabilisées car dévorées par les vautours, une information dont ont connaissance les organismes chargés du suivi de la maladie.
Ces deux cas de figure ne sont pas les seuls à être non pris en compte dans les données officielles. Selon deux témoignages concordants, il arrive fréquemment que des éleveurs ne contactent pas leur vétérinaire en cas de suspicion de la maladie par crainte de devoir payer la visite et les tests PCR (pourtant pris en charge par l’Etat). Mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle certains éleveurs passent leurs doutes sous silence :
« Les éleveurs ont aussi peur de se voir fermer certains marchés, notamment à l’export, s'ils sont déclarés foyers. C’est un aspect économique qui joue, même si les GDS ont énormément communiqué sur la prise en charge de la visite et du zéro reste à charge pour les éleveurs en ce qui concerne la surveillance », explique le directeur du GDS 11, qui confirme à cette occasion que certains animaux sont asymptomatiques et sont donc totalement "invisibles."
De plus, le suivi de l’épidémie est effectué avec des méthodes de comptage différentes entre chaque organisme (GDS, DDPP, EPL, etc.), et ces mêmes organismes ne partagent pas de manière automatisée leurs données entre-eux. Ils entretiennent d’ailleurs des relations qui varient en fonction des départements. C’est peu dire que de nombreux facteurs empêchent donc d’avoir une vue statistique réaliste de cette épizootie.
Cette vue semble pourtant indispensable pour qu’une réponse sanitaire et politique adaptée soit ordonnée rapidement. « Les DDPPs et les GDS manquent cruellement de moyens, cela fait des années que ça dure, ce n’est pas nouveau. C’est pour cela qu’il y a peu de chiffres, il n’y a pas de réel suivi de l’épidémie », s’agite par téléphone Sylvie Colas, secrétaire nationale de la Confédération Paysanne.
En tout cas, jusqu’au mois d’août, rien n’était fait pour avoir des statistiques fiables, précises, et « en temps réel » à grande échelle. Il s’agissait plutôt d’observer des tendances, chacun à sa manière. Les structures de suivi ont effectivement été habituées à consolider leurs données a posteriori pour les maladies non-réglementées comme la FCO 8. Un suivi plus rigoureux des troupeaux impliquerait effectivement plus de paperasse à des agriculteurs déjà noyés sous la documentation.
Quoi qu’il en soit, les organismes publics ou co-financés par des subventions qui sont chargés de suivre l’épidémie ont finalement demandé au service d’équarrissage Atemax, une société privée, de leur partager de la donnée dès la fin-août pour tenter d’avoir une idée du nombre de bêtes décédées. Donnée elle-même incomplète.
"Au 17 septembre, peu de données fiables et exhaustives permettent de suivre la mortalité en élevage ovin/caprin. La DDPP a obtenu les listes d’enlèvements de cadavres pour les mois de juillet et aout. Les résultats sont éloquents sur le mois d’août 2024, 4% du cheptel ovin a été enlevé par l’équarrissage. Ce chiffre sous-estime la mortalité puisque les camions d’équarrissage ne collectent pas en estive. De ce fait, la mortalité en estive n’est pas prise en compte dans les relevés d’équarrissage", confirme Élodie Réversat, directrice du GDS de l'Ariège.
Conscients du problème, les GDS réfléchissent à plusieurs solutions pour améliorer la fiabilité du suivi de l’épidémie. L’idée étant d’intégrer d’autres sources de données à leur calcul. La plupart d’entre elles ne pourront porter leurs fruits que dans plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Bien trop tard, au regard de la vitesse à laquelle s’est répandue la maladie, et aux conséquences qu’elle a déjà faits subir aux éleveurs…
Written by: Melvin Gardet
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