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Photovoltaïque. Dans l’Aude, ces « méga-projets » qui effraient

today12 juin 2024 à 7h00

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Dans l’Aude, plusieurs associations alertent sur une hausse des ‘méga-projets’ photovoltaïques. L’association EcoHabiter en Corbières et Minervois s’inquiète d’une régulation opaque et des conséquences économiques et écologiques que pourraient avoir des méga-centrales solaires sur le territoire.

Elles s’inquiètent de la hausse du nombre de projets de centrales photovoltaïques. Dans l’Aude, trois associations environnementales (Développement durable en Corbières et Minervois (DDCM), Ecologie des Corbières du Carcassonnais et du littoral audois (ECCLA) et EcoHabiter en Corbières et Minervois) dénoncent les nuisances qui pourraient être provoquées par ce qu’elles appellent des ‘méga-projets.’ Des centrales gigantesques, encore à l’étude, de 50 à 200 hectares qui seraient construites aux environs du poumon vert audois qui s’étend sur un axe allant de Carcassonne au massif des Corbières.

Sur ce sujet, les associations estiment vouloir assurer un rôle de lanceur d’alerte. Mais comme nous le répète Franck Turlan, adhérent à EcoHabiter en Corbières et Minervois, ces organisations ne sont pas contre les centrales photovoltaïques, qu’elles considèrent même comme nécessaires à la transition écologique et à l’objectif zéro carbone d’ici 2050 initié par le gouvernement.

« Pour reprendre les termes mêmes de l’agence internationale de l’énergie, le photovoltaïque est l’énergie du 21ème siècle. Elle a un coût complètement accessible pour notre économie, a un bon bilan énergétique, et peut s’insérer plus facilement dans notre environnement comme sur nos toits de maison. Tout cela en fait une énergie très interessante. Cependant, elle doit être intégrée avec d’autres moyens d’énergie, il y a notamment une complémentarité évidente avec l’éolien. »

Franck Turlan, membre de l’association EcoHabiter en Corbières et Minervois

D’autant que l’Aude est dotée de nombreux parcs éoliens répartis aux quatre coins du département. Selon la préfecture, en 2021, le département comptait près de 300 éoliennes, certaines sont d’ailleurs présentes depuis des décennies.

Page 07 du document préfectoral nommé « ACTUALISATION DU PLAN DE GESTION DES PAYSAGES AUDOIS VIS-À-VIS DES PROJETS ÉOLIENS TERRESTRES. » Les points bleus représentent les parcs éoliens en exploitation en 2021.

Les associations alertent aussi sur un manque de régulation qui conduirait à un afflux de projets photovoltaïques sur le département de l’Aude. Dans l’objectif de devenir une « région à énergie positive », la région et l’Etat (par le biais du ‘Green Deal’ et de la loi « accélération de la production d’énergies renouvelables ») encouragent d’ailleurs la réalisation d’infrastructures solaires en Occitanie. Et les objectifs sont ambitieux : d’installations d’une puissance de 3.031MW au 30 septembre 2022, les pouvoirs publics souhaitent atteindre 7.000 MW en 2030 et 15.070 MW en 2050. La production d’électricité par le photovoltaïque sera ainsi multipliée par quatre sur le territoire occitan en 30 ans. Le portail cartographique des énergies renouvelables permet d’observer les zones où du solaire au sol pourrait être installé.

Les associations estiment que cet objectif des collectivités territoriales doit être atteint en passant par des discussions partagées avec d’autres acteurs, notamment issus du territoire, et pas uniquement par les sociétés privées à qui l’Etat a confié la tâche de mettre sur pied des centrales. Franck Turlan y voit une opportunité « d’embarquer » les citoyens dans la transition écologique et de les impliquer dans les problématiques de raccordement spécifiques au territoire audois.

« La configuration des Corbières est particulière, c’est un secteur qui est parmi les moins peuplés de France. La conséquence, c’est que les projets d’énergies renouvelables n’ont pas de moyen de se connecter au réseau électrique pour distribuer et vendre l’énergie produite. Sauf quand il s’agit de très gros projets, et auquel cas ils vont pouvoir se payer un raccordement. Notre crainte, c’est que cela se passe dans le désordre, sans préparation pour choisir au mieux les projets qui doivent être mis en oeuvre. Pour ces raisons, nous réclamons la mise en pause des projets, car ils nécessitent un temps d’échange, y compris avec les habitants. »

Franck Turlan

Un pas en avant qui ne pourra se faire sans des acteurs jusqu’ici ignorés, insiste le représentant de l’association : les Parcs Naturels Régionaux. Des interlocuteurs idéals d’après le groupement d’associations, qui seraient les plus à même de trancher entre la nécessité de faire place aux énergies renouvelables et la préservation de la biodiversité et des paysages. Quant aux agriculteurs, détenteurs de terre, ils ne devraient pas être oubliés non plus. Dans l’Aude, plusieurs viticulteurs ont déjà affirmés qu’ils ont été approchés par des exploitants. C’est le cas d’Hervé Leferrer, viticulteur du domaine du Grand Crès, à Fabrezan, qui a engagé un recours contre l’autorisation accordée au parc de Tournissan-Ribaute, d’une superficie totale prévue de 80 hectares.

« Il y a un trop plein dans les projets »

Ce professionnel du vin avait d’ailleurs profité d’une réunion publique organisée par les trois associations en mai dernier pour dénoncer l’installation de ces 223.000 panneaux. Un autre projet, celui de Fabrezan-Camplong (+220 hectares), suscite toutes les inquiétudes bien qu’il n’ait pas encore été soumis à l’administration publique (les installations photovoltaïques de puissance supérieure à 50 MW sont soumises à une autorisation d’exploiter). D’autant que ce méga-projet, le plus gros envisagé à date dans l’Aude, est lui aussi situé en zone viticole.

D’après les témoignages collectés par EcoHabiter en Corbières et Minervois, certains viticulteurs se sont déjà vus proposer jusqu’à 7.000 euros/hec par an par divers exploitants. Un montant astronomique puisque la valeur de la terre elle-même est moins élevée.

« Notre viticulture est régulièrement en difficulté, ce qui nous fait craindre un grand nombre de dépôts de bilan dans les mois à venir, puisque les cultures souffrent des sécheresses. […] Je comprends qu’en période de difficultés économiques, cela puisse être considéré comme une bouée de sauvetage. Ce sera donc compliqué de résister si nous ne nous organisons pas à plus grande échelle. […] Si on ajoute à cela un contexte de pression sur le foncier, alors vraisemblablement, nous allons être l’un des départements les plus concernés (par ces méga-projets, ndlr.) »

Franck Turlan, membre de l’association EcoHabiter en Corbières et Minervois

Puisque mis en concurrence, les développeurs privés se sont effectivement lancés dans une course au foncier où l’ambition écologique passe le plus souvent au second plan.

« Il faut des projets qui fassent sens »

Pourtant, les erreurs à éviter sont connues. Partout en France, des associations et des collectifs de citoyens alertent sur les conséquences néfastes de plaines entières qui sont recouvertes de panneaux photovoltaïques : de la végétation qui a parfois du mal à se faire une place, en passant par le risque incendie (qui reste faible), sans oublier le risque de baisse des populations de pollinisateurs, d’oiseaux et de reptiles. Des inquiétudes nuancées par Franck Turlan :

« Ces centrales photovoltaïques sont fermées, elles sont grillagées. Ce sont donc des espaces clôturés, interdits à la circulation des humains et de certains animaux. Cela pose question sur l’impact sur la biodiversité. Mais il est trop tôt pour avoir un avis tranché sur la question car parfois, le photovoltaïque peut avoir un impact positif. Cela a été le cas dans les Landes, où le photovoltaïque a permis grâce à des mesures compensatoires de recréer des zones humides. Il faut regarder tout cela de très près car on manque encore de recul sur certains territoires. »

Les associations en appellent donc à l’Etat et aux élus locaux. Ils demandent la création d’un moratoire d’un an sur les projets de plus de 15 hectares, à la création d’une charte du photovoltaïque, ou encore à la création d’un poste de chargé de mission Energies Renouvelables – Sobriété Energétique au sein de la Communauté de Communes Région Lézignanaise Corbières Minervois.

Écrit par: Melvin Gardet

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